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Décryptage du dispositif de "report" des loyers et charges locatives pour les locaux professionnels ou commerciaux

Publié le 06 avril 2020

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Focus rédigé le 6 avril 2020 / MAJ le 07 avril 2020

 

Dans son article 11, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 autorise le gouvernement à prendre des ordonnances  visant à permettre de "reporter intégralement ou d'étaler le paiement des loyers au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique, dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie."

 

On notera 2 choses:

  • D'une part, les termes "report" et "étalement" impliquent que le loyer restent dus.
  • D'autre part, la loi ne parle que des loyers et non des charges locatives.

 

C'est l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 qui est venue préciser les modalités du dispositif en l'étendant aux charges locatives dans son article 4:

 

Article 4 

Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.

 

Un report, vraiment?

 

A la lecture de l'article 4 de l'ordonnance susvisée, on observe qu’il n'est pas expressément fait mention du terme de « report ». L’ordonnance ne prévoit que l’impossibilité de mettre en œuvre les sanctions liées au non-paiement des loyers et des charges locatives : pas de pénalités financières, d’intérêt de retard, d’astreinte, d’exécution de la clause résolutoire ou de toute clause prévoyant une déchéance. Elle écarte également dans ce cas l’activation des garanties (garantie bancaire, garantie à première demande) ou cautions.

 

Si l'on pouvait résumer ainsi : durant la période concernée, les loyers et charges locatives restent donc exigibles et dus par le locataire, le bailleur est donc en droit de continuer à appeler, comme d'habitude, le loyer et les charges locatives durant les mois concernés et à émettre des avis d'échéance en ce sens;  par contre, si le locataire ne paie pas, le bailleur ne pourra pas le sanctionner.

 

Mais alors, si les loyers et charges restent dus mais que le locataire ne peut pas être sanctionné, comment le bailleur va-t-il, in fine, récupérer ces derniers ?

 

La réponse est suggérée par l'article 11 de la loi du 23 mars 2020. L'usage des termes "report" et "étalement" impliquent par conséquent que locataires et bailleurs devront s'entendre sur un échéancier de règlement des sommes dues. Lequel pourra etre mis en place après la période visée par l'ordonnance.

 

Ainsi, même si l'ordonnance du 25 mars 2020 ne parle pas de report, dans les faits l'effet reste le même.

 

On notera cependant que l'ordonnance n'encadre pas la mise en place de l'échéancier, laissant donc la liberté aux locataires et bailleurs de s'entendre sur les modalités (durée, montant des échéances, etc.). Toutefois, il ne serait pas étonnant qu'un texte vienne apporter des précisions complémentaires. A suivre.

 

Quels sont les loyers et charges locatives concernés par ce dispositif ?

 

Il s'agit de ceux dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. A ce jour, et sauf prolongation, cette dernière est fixée au 24 mai 2020 à 00H00. Par conséquent, ce dispositif couvre une période allant du 12 mars au 24 juillet 2020, sauf prolongation.

 

Quels sont les locaux concernés par ce dispositif ?

 

Ce sont les locaux professionnels ou commerciaux loués en ce sens par les locataires en droit de bénéficier de ce dispositif.

 

Quels sont les locataires concernés ?

 

Les bénéficiaires sont des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui :

  • Soit sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée.
  • Soit qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au vu de la communication d'une attestation de l'un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. 

 

Les décrets n° 2020-371 du 30 mars 2020 et n° 2020-378 du 31 mars 2020 sont venus préciser les critères afin de pouvoir bénéficier du fonds de solidarité et, in fine, du dispositif sur les loyers. Ces décrets déterminent ainsi les seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la crise sanitaire.

 

Selon l'article 1er du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020, peuvent bénéficier du dispositif, les personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, remplissant les conditions et critères définis aux 1° et 3° à 8° de l'article 1er et aux 1° et 2° de l'article 2 du décret n° 2020-371 susvisé.

 

Comment peuvent-ils bénéficier du dispositif ?

 

Le dispositif n'est pas automatique. Le locataire doit en effet faire savoir à son bailleur qu'il en droit de bénéficier de ce dispositif s’il souhaite l’opposer à son bailleur (on notera que, s’il s’en sent capable, le locataire est en droit de payer le loyer comme habituellement).

 

Pour cela, il doit justifier auprès du bailleur qu'il remplit les conditions en produisant une déclaration sur l'honneur attestant du respect des conditions prévues à l'article 1er du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 et de l'exactitude des informations déclarées. Elles présentent en outre l'accusé-réception du dépôt de leur demande d'éligibilité au fonds de solidarité ou, lorsqu'elles ont déposé une déclaration de cessation de paiements ou sont en difficulté au sens de l'article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité, le cas échéant, une copie du dépôt de la déclaration de cessation de paiements ou du jugement d'ouverture d'une procédure collective.

 

Une fois ceci fait, le bailleur ne peut refuser le bénéfice du dispositif au locataire. Il lui est conseillé d'en accuser réception en adressant un courrier au locataire. Lequel lui rappelera, le cas échéant, qu'il ne s'agit que d'un report, mais aussi ses obligations une fois que la période visée par l'ordonnance aura expirée (reprise des paiements habituels, mise en en place d'un échéancier).

 

Le locataire peut donc librement :

  • Soit reporter intégralement le paiement des loyers et charges locatives dont l'échéance intervient durant la période couverte par le dispositif. En clair, il ne paiera pas la moindre somme au bailleur durant cette période.
  • Soit le reporter partiellement. C'est-à-dire continuer à payer partiellement le loyer et les charges durant cette période et reporter le paiement de l'autre partie.

 

Dans tous les cas, le bailleur ne peut s'y opposer ou imposer un paiement partiel.

 

Les professionnels de la gestion immobilière conseillent tout de même de maintenir l'envoi des avis d'échéance afin de tenir constamment informé le locataire de ce qu'il continue de devoir et préparer les bases d'un échéancier futur à négocier amiablement (compte tenu de l'absence de disposition en la matière pour le moment) au regard des capacités du locataire une fois cette période délicate passée.

 

Nous ne pouvons que vous recommander de voir avec votre Trésorerie ce qu'il convient de faire pour l'émission des titres de recettes.

 

Enfin, on peut légitimement présumer que la responsabilité du locataire pourra être engagée par le bailleur en cas d'attestation mensongère et provoquer la déchéance du droit à bénéficier du dispositif.


 

 


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